Les gangs d'Amérique centrale

Les présidents des différents pays d'Amérique centrale se sont récemment rencontrés à Tegucigalpa, au Honduras, pour mettre au point une politique commune face aux gangs urbains qui prolifèrent dans la région. Le président hondurien, Ricardo Maduro, qui a été élu en faisant campagne sur le thème de la tolérance zéro a résumé ainsi leur position commune : "Les gangs se sont internationalisés et nous allons avoir la main lourde, très lourde pour leur répondre".

Le problème des gangs d'adolescents en Amérique centrale n'est pas nouveau. Ils constituent un problème au Salvador depuis la fin des années 1980, ils sont apparus au Guatémala et au Honduras entre 1990 et 1995. Depuis, le nombre de leurs membres a décuplé.

La plupart des observateurs expliquent leur croissance par les guerres civiles prolongées qui ont ravagé l'Amérique centrale durant les années 1980 et par la politique d'expulsion de l'Amérique. Mais cette théorie ne reflète pas les réalités locales. Le Honduras, pays le plus touché par le problème des gangs, n'a jamais connu de guerre civile. Le Nicaragua et le Mexique qui reçoivent beaucoup de personnes expulsées par les USA sont moins touchés par les gangs que le Salvador ou le Guatémala.

Il ne s'agit pas de nier que les guerres civiles et les expulsions du territoire américain ont contribué à l'aggravation du problème des gangs, mais les raisons premières qui poussent des jeunes gens à les rejoindre sont de nature sociale. Ces gangs sont le produit de familles à problèmes qui vivent dans un climat de violence, d'une culture d'agression et de la marginalisation socioéconomique systématique des pauvres qui s'enracine dans le passé. Ils prospèrent parce que des institutions faibles sont incapables de veiller au respect des droits fondamentaux des enfants et des adolescents.

Il est vrai que l'on retrouve cette situation dans toute l'Amérique latine, mais les conséquences n'en sont pas les mêmes partout. Même le Nicaragua, qui a pratiquement les mêmes caractéristiques que les autres pays de la région, est encore à l'abri de ces gangs qui tuent et terrorisent la population au Guatémala, au Salvador et maintenant au Chiapas, au Mexique.

Une partie du problème tient à la manière dont les gouvernements d'Amérique centrale font face à ce phénomène. Pendant de longues années, ils l'ont tout simplement ignoré. Ils s'intéressaient bien plus au processus de transition politique ou à l'application du Consensus de Washington. Ils se sont donc désintéressés des problèmes sociaux pour consacrer toute leur énergie à réformer le système politique et économique. Ce manque d'attention s'est traduit par l'affaiblissement des institutions à caractère social.

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Les gangs ont prospéré à l'abri de cette indifférence. Les responsables politiques considéraient que la hausse de la criminalité était le prix à payer pour la guerre et beaucoup d'entre eux pensaient que leurs membres arrivant à l'âge adulte, les gangs finiraient par disparaître. Mais ce n'est pas ainsi que les choses se sont passées et ils reconnaissent maintenant qu'ils sont confrontés à un énorme problème. Mais s'ils ont fini par se pencher sur cette situation, ce n'est pas à cause de l'augmentation du nombre d'homicides, mais parce qu'ils ont compris que la violence ternit l'image de leur région à l'étranger et décourage les investisseurs étrangers.

Les réactions des différents pays touchés ont été diverses, mais toujours répressives. Des opérations telles que la Strong Hand au Salvador, The Broom au Guatémala et Blue Liberty au Honduras sont basées exclusivement sur la répression. Elles excluent la prévention et ne traitent pas les causes sociales du phénomène.

Au lieu de mener une politique qui passe par le rétablissement des droits fondamentaux des jeunes de la région, les gouvernements d'Amérique centrale préparent une guerre contre les gangs au nom de la sécurité nationale. Ce type d'action rapporte de substantiels bénéfices sur le plan politique : elle aide à remporter les élections et attire les grâces du gouvernement de Bush. Des responsables du FBI et du Bureau de la sécurité du territoire ( Office of Homeland Security ) se sont rendus en Amérique centrale pour apporter leur expérience dans la lutte contre les gangs.

Mais la guerre contre les gangs, à l'image de la soi-disant guerre contre la drogue, aggrave en réalité la situation. Au Salvador, les gangs sont maintenant mieux organisés parce que les autorités regroupent leurs membres incarcérés suivant leur affiliation, ce qui permet à chaque gang de recruter de nouveaux membres parmi les autres détenus, d'élire des chefs au niveau national et d'affirmer leur autorité et leur pouvoir aux yeux de tous. Au Honduras, les gangs sont plus qu'ailleurs liés au crime organisé, car du fait de la politique de nettoyage des rues, ils se sont rapprochés des trafiquants de drogue pour bénéficier de leur protection. Et maintenant, il semble que les gangs envahissent le sud du Mexique, car la répression en Amérique centrale les pousse vers le nord.

L'internalisation de la politique de la "main d'acier" dans la région va pousser les gangs vers le Nicaragua et le Costa Rica, alors que ces deux pays ont réussi jusqu'à présent à échapper à leur violence. Si l'on continue à fermer les yeux sur les causes sociales qui entraînent l'apparition des gangs, ils vont prospérer.

Les perspectives d'une nouvelle politique, plus réaliste, ne sont guère prometteuses. A l'issue de la rencontre des présidents d'Amérique centrale, Antonio Saca, le président du Salvador, a évoqué un plan de prévention au niveau régional. Malheureusement, personne n'a prêté beaucoup d'attention à sa suggestion.

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